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Le Gargouillou de jeunes légumes : une leçon de cohérence
Posté par Romain dans Restaurants le 23 juillet 2009
Dans le précédent billet concernant une table (L’auberge basque), devant le manque de cohérence de certains plats servis, l’idée qu’un plat équilibré se compose de trois saveurs seulement, idée chère à Ducasse et tant d’autre chefs, m’est également apparue comme une vérité dogmatique incontournable.
Mais voilà, un petit passage chez les Bras m’a permis de fort heureusement bousculer ce dogme, ce qui me rassure quelque part car si le dogme est nécessaire à bien des domaines c’est aussi un frein à la création. Je ne m’étendrai pas sur la maison Bras, je pense que l’essentiel a déjà été dit maintes fois et en particulier dans le génial documentaire de Paul Lacoste « L’invention de la cuisine« . En revanche je profiterai de cet évènement (car je confirme que manger chez les Bras est un évènement pour qui s’intéresse un minimum à la chose gastronomique) pour continuer la réflexion de mon précédent billet en m’attardant sur l’un des plats emblématique des Bras : Le Gargouillou de jeunes légumes.

Gargouillou de jeunes légumes
Ci-contre un aperçu de mon Gargouillou en cette soirée de la fin du mois de juin 2009 (l’appropriation du Gargouillou qui ma été servi à travers le pronom « mon » n’est pas innocente, nous le verrons plus loin).
Comme on peut le voir dans le documentaire de Paul Lacoste, et c’est certainement ce qui fait que de temps en temps la cuisine japonaise est citée (à tort ?) comme influence de la cuisine des Bras, la première impression est très « graphique ». La démarche créative chez Michel Bras se fait tout d’abord avec un dessin dans un carnet. Mais ne nous méprenons pas, il ne s’agit pas de faire du goût, des textures voire des odeurs des notions secondaires car ces notions là font partie intégrante de l’inconscient du chef… elles viennent en même temps que le coup de crayon du chef, mais n’ont pas besoin d’être transcrites. Cette approche esthétique de l’assiette n’est à mon sens qu’une façon de souligner l’extrême respect que l’on doit avoir pour le produit qui s’y trouve.
Et du produit dans ce Gargouillou il y en a … végétal essentiellement, des légumes bien-sûr, des fruits en moindre quantité, quelques fleurs et plantes et enfin des condiments (les Niak dans le langage Bras). Inutile de faire l’addition, on a dépassé de très loin les trois saveurs dominantes. Et pourtant ici nulle confusion, nul écœurement mais une harmonie surprenante de saveur et de textures … et c’est certainement justement sur les textures que la magie de ce plat opère, l’exigence technique mise en œuvre pour la préparation des différents produit de ce Gargouillou et en particulier sur les éléments « croquants » (mais fondant) donne au plat une cohérence qui permet de dépasser complètement le choc des saveurs pour le transformer en véritable voyage à travers la prairie voisine. On est assez loin de l’association entre une chips de meringue (classique donc très sucrée) et d’une mousse d’anchois (classique elle aussi donc très salée) du précédent billet.
Un autre élément essentiel permet de renforcer la cohérence de ce plat, et c’est d’ailleurs le seul élément commun de ce plat avec le Gargouillou original de la tradition de l’Aubrac. Bien qu’on ne le découvre que tardivement dans la dégustation du plat (tout au moins visuellement), la tranche de jambon (et plus particulièrement le gras) qui a permis d’enrober de sa saveur les différents légumes est en quelque sorte le fil conducteur bouchée après bouchée.
Enfin, un dernier point qui rend ce plat exceptionnel est qu’il est vivant. Il est vivant car chaque jour il est l’expression à la fois du Chef mais mais aussi de ce que la prairie lui a offert. Il est vivant car mon Gargouillou sera très différent de celui de mon voisin car c’est un plat que l’on s’approprie et que la multitude de saveurs présentes permet des associations infinies et donc des expériences culinaires très différentes d’une assiette à l’autre, d’une table à l’autre.
Or on ne peut faire de plats « vivants » que quand on a des produits d’une extrême qualité et que ces produits sont particulièrement respectés, et si il y a bien un dogme qu’on aura du mal à me faire abandonner (mais qui sait, c’est temps-ci les cuisiniers se transforment alchimistes, ils vont donc peut-être transformer du bœuf américain aux hormones en wagyu de Kobe ?) c’est qu’on ne peut pas faire de bonne cuisine sans bon produit… et le Gargouillou de Michel Bras est pour moi un grand témoignage de respect pour les produits que la nature nous offre.