Archives de la catégorie Restaurants

Paul Lacoste : une expérience cinégastronomique

Je profite de la sortie en dvd du nouveau film de Paul Lacoste dans la série « l’invention de la cuisine » consacré à Pascal Barbot (chef à l’Astrance) pour inciter tout ceux qui ont échappé aux 6 précédents volumes à les visionner de toute urgence.

Bien que ses films soient réalisés avec les (faibles) moyens de la télévision, Paul Lacoste a une véritable approche cinématographique dans son travail documentaire avec un angle d’attaque à chaque fois différent. Les amateurs de cinéma pourront regretter justement des faiblesses au niveau de la photographie (manque de moyens ?), les amateurs de gastronomie pourront regretter les parti pris de l’auteur dans le traitement du sujet. Ces films ne sont en effet ni le portrait d’un chef, ni le portrait d’une cuisine, mais la vision qu’à l’auteur de la démarche créative du sujet (le chef), tout en laissant un maximum de temps de parole au sujet en question. Pour les amateurs de documentaires de cinéma (par opposition au documentaire de télévision, assimilable à du reportage) cette série permet de découvrir des facettes particulièrement intéressantes de la démarche créative des plus grands chefs de ces dernières années et en particulier chez ceux qui ont présenté à un moment ou un autre une certaine singularité dans leur cuisine (Michel Bras, Olivier Roellinger, Pierre Gagnaire, Michel Guérard, Michel Troisgros, Gérald Passedat et Pascal Barbot).
Par son approche personnalisée et différente de chaque chef et de son univers (tout en s’astreignant tout de même à présenter quelques plats et les démarches créatives associées à ces plats), Paul Lacoste donne paradoxalement de la cohérence à l’ensemble de cette œuvre en laissant porter sa caméra par l’univers de l’auteur afin de nous permettre de mieux comprendre les choix et hésitations de chacun des intervenants dans le processus de création.

Outre la confirmation que Pascal Barbot est un véritable extra-terrestre dans le paysage gastronomique mondial actuel, ce nouvel opus de « l’invention de la cuisine » m’a permis de mettre le doigt sur un certain nombre d’éléments de compréhension des motivations des gens à fréquenter des restaurants gastronomiques. En effet, dans ce film Paul Lacoste choisi à travers une sélection de « vrais gens » (choisis par Pascal Barbot et son complice Christophe Rohat) de disséquer à travers quelques échanges leurs attentes qu’il se font d’un diner à l’Astrance d’une part et leurs réactions face à cet « évènement » gastronomique que représente ce diner d’autre part. Il est assez amusant de constater l’émerveillement produit sur des « vrais gens » par la cuisine du chef ; certes ces personnes n’ont pas été choisies complètement au hasard, mais elles n’entretenaient a priori aucune affinité particulière pour la haute gastronomie. Une réflexion/attitude m’a particulièrement interpellée : une des convives explique son manque d’intérêt par les restaurants étoilés par son matérialisme sans borne et le fait qu’à l’issue d’un repas il n’en reste plus rien … son expérience gastronomique à l’Astrance lui montrera qu’au contraire l’éphémère, quand les émotions qu’il suscite  confinent au sublime, peut être éternel … à méditer.

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Le cyclo : la décomposition du phở

C’est en me rendant au Baratin (que je vous conseille vivement si ce lieu vous est inconnu) je j’ai remarqué pour la première fois ce petit resto. Au milieu des nombreux restaurants chinois/vietnamien/thaï (lire le / comme un &), j’ai plutôt tendance a remarquer les restaurants seulement Thaï ou seulement Vietnamien … généralement ces lieux mettent en avant une cuisine traditionnelle et non une cuisine d’assemblage comme dans les nombreux restaurant chinois (& thaï, & vietnamien … & japonnais dans le pire des cas … un jour ils feront aussi des pizza).

Le Cyclo est donc un restaurant vietnamien ! Première bonne surprise, la carte est courte (pour un restaurant asiatique) : 10 entrées & 10 plats. Le restaurant est un peu petit, ce qui nous oblige à faire table commune avec d’autres clients, et donc génère un élan de convivialité chez chacun, assez plaisant sauf peut-être si vous souhaitez passer un moment en tête à tête. La vaisselle d’inspiration céramique japonaise met particulièrement en valeur les différents mets servis et vu la gamme de prix pratiqué (j’y reviendrai) c’est assez surprenant et m’a particulièrement séduit. Mais parlons de l’essentiel : est-ce que c’est bon ?

Pour ma première visite, j’ai partagé une entrée (copieuse) : une salade de mangue verte. Petite déception, la mangue était trop mûre et donc la salade un peu trop sucrée. Mais la France métropolitaine et ses voisins  n’étant pas à ce jour un pays reconu comme producteur de mangue, ce n’est pas forcément le choix le plus adapté en terme d’entrée. Autant la papaye verte nous parvient et se maintient à un niveau de maturité acceptable en Europe, autant j’ai l’impression que c’est une autre histoire concernant la mangue verte. Puis, alors que mon compagnon de tablée se fit servir un tom-bun (un bo-bun aux crevettes) plutôt copieux et visiblement succulent, je n’ai pu résister à prendre un ph. Paf ! Je ne sais pas si c’est mon irrésistible envie de manger un ph ou bien si ce ph confinait au sublime, mais je fût plus que charmé.

Afin de me faire un avis (définitif) sur ce resto, j’ai décidé d’y retourner quelque jours plus tard … seul cette fois, un midi et en fin de service. Pas d’entrée cette fois, mais seulement un plat. J’opte pour la spécialité de la maison ( La soupe cyclo – je n’ai pas retenu le nom vietnamien) : une soupe asséchée. Que se cache donc derrière cette curieuse appellation ? je lis la description, ça ressemble vaguement à un ph mais la mention « bouillon servi à part » m’intrigue … le plat est donc en deux parties : un grand bol avec des nouilles, du bœuf et des légumes/aromates et un petit bol de bouillon. Et re-paf ! je comprend rapidement que le nom original de ce plat est certainement intraduisible, car la soupe n’est certainement pas asséchée mais tout simplement concentrée. On a ici des nouilles et du bœuf cuits dans un délicieux bouillon qui agit en tant que vecteur sapide et parfume délicieusement ces éléments auxquels on ajoute quelques morceaux de coriandre, cives et basilic et une sauce légère, puis le bouillon a été réduit longuement afin d’en concentrer les saveurs … le ph est ici véritablement décomposé ce qui nous permet d’en comprendre l’essence à travers ce bouillon délicieusement concentré, tout en gardant une extrême cohérence justement grâce à ce bouillon qui a pu imprégner l’ensemble des éléments. Je ne sais pas si ce mode de préparation est commun dans la cuisine vietnamienne qui est une cuisine populaire (par opposition à la cuisine thaï qui est une cuisine royale et donc plus encline à soigner les détails), mais c’est une façon d’aborder cette cuisine populaire sous un jour nouveau pour moi et je n’aurai pas besoin d’une troisième visite. Ce resto est incontournable à Paris, et fait un très bon point de chute lorsque le baratin et le krung-thep sont complets.

Enfin, j’avais dit que j’y reviendrai, les prix pratiqué sont assez loins des prix parisiens habituels ce qui mine de rien est assez apréciable … environ 8€ l’entrée (à partager à deux vu les quantités) & 10 € le plat.

Cyclo
78, Rue de Belleville, 75020 Paris
Métro : Pyrénées
Tel : 01 40 33 48 86

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Le Gargouillou de jeunes légumes : une leçon de cohérence

Dans le précédent billet concernant une table (L’auberge basque), devant le manque de cohérence de certains plats servis, l’idée qu’un plat équilibré se compose de trois saveurs seulement, idée chère à Ducasse et tant d’autre chefs,  m’est également apparue comme une vérité dogmatique incontournable.

Mais voilà, un petit passage chez les Bras m’a permis de fort heureusement bousculer ce dogme, ce qui me rassure quelque part  car si le dogme est nécessaire à bien des domaines c’est aussi un frein à la création. Je ne m’étendrai pas sur la maison Bras, je pense que l’essentiel a déjà été dit maintes fois et en particulier dans le génial documentaire de Paul Lacoste « L’invention de la cuisine« . En revanche je profiterai de cet évènement (car je confirme que manger chez les Bras est un évènement pour qui s’intéresse un minimum à la chose gastronomique) pour continuer la réflexion de mon précédent billet en m’attardant sur l’un des plats emblématique des Bras : Le Gargouillou de jeunes légumes.

Gargouillou de jeunes légumes

Gargouillou de jeunes légumes

Ci-contre un aperçu de mon Gargouillou en cette soirée de la fin du mois de juin 2009 (l’appropriation du Gargouillou qui ma été servi à travers le pronom « mon » n’est pas innocente, nous le verrons plus loin).

Comme on peut le voir dans le documentaire de Paul Lacoste, et c’est certainement ce qui fait que de temps en temps la cuisine japonaise est citée (à tort ?) comme influence de la cuisine des Bras, la première impression est très « graphique ». La démarche créative chez Michel Bras se fait tout d’abord avec un dessin dans un carnet. Mais ne nous méprenons pas, il ne s’agit pas de faire du goût, des textures voire des odeurs des notions secondaires car  ces notions là font partie intégrante de l’inconscient du chef… elles viennent en même temps que le coup de crayon du chef, mais n’ont pas besoin d’être transcrites. Cette approche esthétique de l’assiette  n’est à mon sens qu’une façon de souligner l’extrême respect que l’on doit avoir pour le produit qui s’y trouve.

Et du produit dans ce Gargouillou il y en a … végétal essentiellement, des légumes bien-sûr, des fruits en moindre quantité, quelques fleurs et plantes et enfin des condiments (les Niak dans le langage Bras). Inutile de faire l’addition, on a dépassé de très loin les trois saveurs dominantes. Et pourtant ici nulle confusion, nul écœurement mais une harmonie surprenante de saveur et de textures … et c’est certainement justement sur les textures que la magie de ce plat opère, l’exigence technique mise en œuvre pour la préparation des différents produit de ce Gargouillou et en particulier sur les éléments « croquants » (mais fondant) donne au plat une cohérence qui permet de dépasser complètement le choc des saveurs pour le transformer en véritable voyage à travers la prairie voisine. On est assez loin de l’association entre une chips de meringue (classique donc très sucrée) et d’une mousse d’anchois (classique elle aussi donc très salée) du précédent billet.

Un autre élément essentiel permet de renforcer la cohérence de ce plat, et c’est d’ailleurs le seul élément commun de ce plat avec le Gargouillou original de la tradition de l’Aubrac. Bien qu’on ne le découvre que tardivement dans la dégustation du plat (tout au moins visuellement), la tranche de jambon (et plus particulièrement le gras) qui a permis d’enrober de sa saveur les différents légumes est en quelque sorte le fil conducteur bouchée après bouchée.

Enfin, un dernier point qui rend ce plat exceptionnel est qu’il est vivant. Il est vivant car chaque jour il est l’expression à la fois du Chef mais mais aussi de ce que la prairie lui a offert. Il est vivant car mon Gargouillou sera très différent de celui de mon voisin car c’est un plat que l’on s’approprie et que la multitude de saveurs présentes permet des associations infinies et donc des expériences culinaires très différentes d’une assiette à l’autre, d’une table à l’autre.
Or on ne peut faire de plats « vivants » que quand on a des produits d’une extrême qualité et que ces produits sont particulièrement respectés, et si il y a bien un dogme qu’on aura du mal à me faire abandonner (mais qui sait, c’est temps-ci les cuisiniers se transforment alchimistes, ils vont donc peut-être transformer du bœuf américain aux hormones en wagyu de Kobe  ?)  c’est qu’on ne peut pas faire de bonne cuisine sans bon produit… et le Gargouillou de Michel Bras est pour moi un grand témoignage de respect pour les produits que la nature nous offre.

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L’Auberge Basque

Tout espace de discussion consacré à la gastronomie se doit de parler de son principal lieu d’expression : les restaurants. J’inaugure donc cette nouvelle catégorie avec  L’Auberge Basque.

Mais tout d’abord, interrogeons nous sur nos pratiques gastronomiques. Qu’est-ce qui nous fait nous rendre dans un lieu initialement destiné à se nourrir pour y dépenser des sommes indécentes (ici on parle de 85 € pour un menu dégustation et 96 € pour un Meursault 1er crus Le Poruzot – Domaine Roulot) ?
Pour répondre à cette question, on peut déterminer trois critères différenciants (avec chacun plus ou moins d’importance en fonction du public) : le cadre, les mets servis (au sens large, c’est à dire y compris leur orchestration) et enfin le service. Je ne m’étendrai pas sur les premiers et troisièmes critères qui sont les plus subjectifs dans l’expérience gastronomique. En revanche le but premier d’un restaurant étant de sustenter les convives, la qualité des mets, leur assortiment et leur association avec le vin demeure le principal critère d’évaluation d’un restaurant et en particulier d’un restaurant dit « gastronomique ». Mais voilà, qu’est-ce qu’un met de « qualité » ?

L’Auberge Basque, jeune établissement prometteur du pays basque français vient de décrocher sa première étoile (Michelin) dès sa première évaluation. La cuisine qui y est servie peut être classée dans la catégorie « inventive » (un gimmick marketting assez flou) … une cuisine que personnellement je qualifierais plutôt de moderne car la cuisine se réinvente en permanence. L’établissement, comme annoncé, allie assez bien la modernité (un mobilier assez géométrique, une cuisine ouverte sur la salle, une décoration épurée, des tables non nappées) et par touches légères la tradition (un usage important du bois, rappel vestimentaires de la culture basque pour le personnel de cuisine et le personnel de service). Un cadre assez agréable bien qu’assez peu aéré associé à un personnel de salle plutôt jeune et décontracté donne une première impression assez positive et nous a mis en conditions idéales pour aborder ce repas. La carte semble assez prometteuse puisqu’elle met le produit en avant, cependant (et nous le réaliserons dès la première entrée) on perd un peu le produit à travers la multitude de saveurs  proposées pour l’accommoder. On est assez loin des trois saveurs maximum par assiette chères à Ducasse, c’est pourtant chez lui que le chef (Cédric Bechade) à fait ses classes.
Après un amuse-bouche (une terrine de canard en gelée au gingembre et crème de maïs) servie au centre de la table dans un pot-commun où chacun pioche sa part, ce qui permet de manière assez intelligente d’assoir la décontraction du lieu, la première entrée nous laissa deux impressions distinctes mais qui finalement se rejoignirent en une seule : too much !
Après un premier tour d’assiette assez séduisant (une lamelle de chou fleur en pickle au vinaigre de cidre, trois préparations crémeuses plus ou moins denses avec différentes saveurs salées et une lamelle de meringue sucrée), nous commençâmes à déchanter … d’un côté de la table une sensation de trop de quantité (pour un menu dégustation qui enchaîne de nombreux plats, l’assiette était particulièrement copieuse) et de l’autre une sensation de trop de saveurs et au final des deux côtés le manque d’entrain à finir cette première entrée.
Tout cela met en relief l’interrogation du début de cette note : qu’est-ce qu’un met de qualité ? qu’est-ce qui en théorie fait que l’on va dans un restaurant pour y dépenser plus que le strict nécessaire pour une sustentation raisonnable de la sensation de faim ? Il est évident que l’on ne fréquente pas ce genre d’établissement pour être basiquement rassasié, le plaisir que nous y recherchons est propre à chacun mais il me parait évident qu’il passe par une certaine finesse, une certaine épure et certainement pas par la démonstration…

La qualité technique du travail du chef et de son équipe et la qualité des produits nous ont toutefois permis de déguster des mets intéressants (« L’oeuf poché , en fine gelée d’une pipérade, mouillette au goût d’oignon, anguille fumée » en particulier) et de passer un moment particulièrement agréable, cependant on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine déception … non pas par rapport à nos attentes, mais par rapport au potentiel du lieu et de cette équipe.

En conclusion, la cuisine y est certes chaotique, dispersée, démonstrative, mais finalement ce sont des qualificatifs qui siéent (verbe seoir) parfaitement à la jeunesse et donc cet établissement (qui n’a qu’un an d’existence) ne peut que gagner en maturité.

PS : mon palais ne semble pas être le seul à être excédé par ce florilège de saveurs (cf Caroline Mignot)

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